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La Reine c. V.T.C., 2018 BCPC 323 (CanLII)

Date :
2018-12-07
Numéro de dossier :
246199
Référence :
La Reine c. V.T.C., 2018 BCPC 323 (CanLII), <https://canlii.ca/t/hwklh>, consulté le 2024-04-23

Citation:

La Reine c. V.T.C.

 

2018 BCPC 323

Date:

20181207

File No:

246199

Registry:

Vancouver

 

 

DANS LA COUR PROVINCIALE DE LA COLOMBIE BRITANNIQUE

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE JUGE T. ALEXANDER

 

 

 

 

LA REINE

 

 

 

 

c.

 

 

 

V.T.C.

 

 

 

 

MOTIFS DE JUGEMENT

 

Il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir  l’identité d’une victime ou d’un témoin.



 

Procureur du Ministère Public:

Daniel Loucks

L'Accusé: V.T.C.

Lui-Même

En contre-interrogatoire de la part de l’accusé:

F. Begg

Date de l'audience:

le 12 septembre, le 9, 10, 15, 16 et 25 octobre, 2018

Jugement réservé au:

7 décembre 2018

 


[1]           V.T.C. (l’accusé) est accusé d’après 4 chefs d’accusation d’avoir touché le corps des deux plaignantes âgées de moins de 16 ans, contrairement à l’article 151 du Code criminel et de les avoir agressées sexuellement contrairement à l’article 271 du Code criminel à Vancouver entre le 1 février et le 30 avril 2015.

[2]           Le ministère public a fait valoir que l’accusé a donné des baisers et a étreint les plaignantes H.N. et T.N., quand il leur enseignait le français et que ses actes avaient un caractère d’ordre sexuel et constituent des attouchements et des agressions sexuels prévus par les articles du Code criminel ci- dessus mentionnés.

[3]           L’accusé se déclare innocent des infractions alléguées.

[4]           Il soutient que les allégations contre lui n’ont aucun mérite.  Il constate que la preuve ne démontre aucun attouchement inapproprié ni aucune agression sexuelle. Il prétend que la preuve du ministère public n ‘est pas suffisante pour atteindre le fardeau de « hors de tout doute raisonnable ».

[5]           Le ministère public a fait témoigner les deux plaignantes H.N., T.N. et leur mère, T.T.

[6]           L’accusé n’a pas témoigné pour sa propre défense ni a fait appeler des témoins à décharge.  En vertu d’une ordonnance préalable prévue par l’article 486.3 du Code criminel une avocate de la part de l’accusé a contre-interrogé les plaignantes.  Pendant le reste du procès, il s’est représenté lui-même.

Antécédents

[7]           Les plaignantes sont arrivées à Vancouver du Vietnam en février 2015 pour étudier à une école du Conseil Scolaire Francophone de la Colombie Britannique.  Leur mère, T.T. avait arrangé des visas d’étudiant et un logement chez l’accusé qu’elle avait rencontré au Vietnam.

[8]           Dès leur arrivée, les plaignantes et leurs parents ont été logés dans une chambre au sous-sol de la maison de la famille de l’accusé.

[9]           Les plaignantes assistaient à une école francophone où l’épouse de l’accusé les conduisait chaque jour.  Les plaignantes n’avaient suivi que quelques cours de français langue seconde au Vietnam.  L’accusé leur a offert des leçons supplémentaires pour les aider à améliorer leur français pour mieux réussir à leur nouvelle école.

[10]        Il n’y avait pas d’horaire fixe pour les leçons.  Les plaignantes avaient des sessions individuelles et parfois ensembles.  Des fois, l’épouse de l’accusé ou son fils leur donnaient ces cours.

[11]        Ces classes avaient lieu sur la table dans la cuisine à l’étage principal de la maison après l’école, le weekend et pendant la relâche du printemps en mars 2015.

[12]        D’après les plaignantes, l’accusé leur donnait des baisers aux joues et au front et les serrait entre ses bras pendant ces cours, surtout quand elles avaient réussi aux épreuves.  D’autre fois, il était exigeant envers elles et les critiquait, disant que ces dernières étaient paresseuses.

[13]        Selon les plaignantes, la conduite de l’accusé s’est empirée au cours de la relâche du printemps.  Ses baisers et ses étreintes les ont rendues mal à l’aise car ils étaient trop fréquents et les mains de l’accusé touchaient la poitrine y compris les seins des plaignantes quand il les serrait.

[14]        Elles n’ont rien dit à personne à ce sujet, cependant elles ont dit séparément à T.T. qu’elles ne voulaient plus suivre des leçons privées avec l’accusé.

[15]        Vers la fin du mois de mars 2015, H.N. a confié à sa mère que l’accusé lui avait fait des avances inappropriées pendant les leçons.  Les détails de cette divulgation ne sont pas clairs. T.N. a aussi dit à sa mère qu’elle n’aimait pas l’accusé et qu’elle voulait terminer ses leçons. 

[16]        A la fin du mois de mars H.N. est partie pour une semaine à un camp scolaire.  Pendant son absence T.T. a terminé les classes supplémentaires avec l’accusé sans lui donner une explication.

[17]        Aux alentours du 16 avril 2015, les plaignantes et leur famille ont déménagé à une nouvelle maison et les plaignantes se sont inscrites à une école anglophone.  L’accusé et sa femme ont annulé leur statut de tuteur envers les filles, un élément du visa d’étudiant des plaignantes.

[18]        Une fois installée dans la nouvelle maison, T.T. a rapporté les incidents prétendus à la police.  Vers le 20 mai 2015 un agent de police qui parlait vietnamien est venu interviewer les plaignantes chez elles au sujet de leurs plaintes contre l’accusé.  Cette entrevue n’a pas été enregistrée.

[19]        Les plaignantes sont allées au poste de police pour subir une deuxième entrevue le 2 juillet 2015.  Cette fois-ci, elles se sont servies d’un interprète pour traduire du vietnamien à l’anglais.  H.N. a répété ces allégations contre l’accusé et T.N. a dit à l’agent de police que l’accusé était méchant.

[20]        Le ministère public a intenté cette cause pénale en Décembre 2016 par voie de mise en accusation.  Avec le consentement de l’accusé et de son ancien avocat, et prévu par le paragraphe 786 (2) du Code criminel, il poursuit ces infractions par voie de procédure sommaire.

Les témoignages

[21]        Les deux plaignantes n’avaient que 14 ans et 12 ans au moment des infractions alléguées.  Elles ont 18 et 16 ans actuellement.  Elles ont témoigné avec l’aide d’interprètes anglais/français.  Elles n’avaient aucune difficulté à s’exprimer clairement en anglais.  La traduction de leurs témoignages en français était fidèle à la version anglaise.

[22]        T.T. a témoigné en vietnamien avec l’aide d’un interprète franco- vietnamien.

H.N.

[23]        H.N. a témoigné qu’au début de ses leçons avec l’accusé tout s’est déroulé normalement.  C’était pendant la relâche du printemps que les baisers et les étreintes fréquents de l’accusé l’ont énervée.  Elle a affirmé qu’au Vietnam, dans sa famille, les baisers et les étreintes ne se donnent pas en dehors des membres de la famille proche.

[24]        Selon H.N., l’accusé lui donnait des baisers aux joues et au front quand elle avait réussi aux examens ou quand elle avait reçu de bonnes notes.  Il lui disait : « Bonne fille! ».  Elle a raconté que parfois l’accusé lui avait donné un baiser sans raison.  Elle a dit que c’était non seulement ces gestes mêmes mais la fréquence qui l’avait dérangée.

[25]        H.N. a prétendu que l’accusé la serrait dans ses bras de l’arrière quand elle étudiait assise à la table dans la cuisine.  Elle a décrit deux versions : que ses bras l’avaient encerclée et ayant croisé ses bras, l’accusé touchait sa poitrine et ses seins ou, que les bras de l’accusé glissaient de l’arrière sur ses épaules descendant vers la poitrine et les seins.

[26]        Elle a ajouté que l’accusé bougeait un doigt quand il touchait les seins, un détail qu’elle n’avait jamais divulgué avant ce procès.

[27]        Quant à l’entrevue avec l’agent de police le 20 mai 2015, H.N. a témoigné qu’elle n’avait pas parlé à l’agent de police des baisers et des étreintes, le but même de cette entrevue.  H.N. a répondu en contre-interrogatoire que cet agent ne parlait pas très bien le vietnamien.  Ensuite, elle a prétendu de ne rien se souvenir de cette entrevue.

[28]        Toujours en contre-interrogatoire, Maître Begg lui avait demandé si H.N. n’avait jamais dit à la police qu’elle n’avait trouvé rien d’ordre sexuel aux baisers et aux étreintes de l’accusé.  Elle a confirmé que la police lui avait posé cette question mais qu’elle ne se rappelait pas de sa réponse à cause des 4 ans écoulés depuis les évènements.  Elle a continué tout en disant qu’elle ne comprenait pas le mot « sexuel ».

[29]        Quand l’avocate lui avait demandé plus de précisions de ses conversations avec d’autres personnes au sujet des évènements allégués H.N. avait l’air contrarié.  A maintes reprises pendant le contre-interrogatoire, H.N. n’a pas pu se souvenir des détails de ses conversations avec sa mère, avec sa sœur, avec la police ni des aspects des allégations mêmes, répétant que 4 ans s’étaient écoulés depuis les évènements.

T.N.

[30]        T.N. avait à peine douze ans pendant la relâche du printemps en mars 2015.  Elle a témoigné de son arrivée au Canada, disant que ce n’était pas la langue plutôt la culture qu’elle ne comprenait pas.

[31]        T.N. a affirmé qu’elle détestait l’accusé, qu’il sentait mal et qu’elle ne voulait pas étudier avec lui.  Elle avait confié à sa mère que l’accusé la rendait mal à l’aise sans lui donner aucune autre explication.

[32]        Pendant son entrevue avec l’agent de police en mai 2015, T.N. a divulgué seulement que l’accusé était méchant.  Pendant l’entrevue du 2 juillet 2015, elle a dit que l’accusé était méchant, qu’il criait à sa mère et qu’il disait qu’elle était paresseuse.  Elle a allégué que l’accusé lui avait fait de mauvaises choses, sans donner d’autres détails.

[33]        Le témoignage de T.N. était perturbant.  Elle a décrit deux versions des étreintes alléguées : d’abord que l’accusé l’avait encerclée dans ses bras touchant sa poitrine et les seins au- dessus de ses vêtements et deuxièmement, qu’il lui avait fait un mouvement descendant de haut en bas passant ses mains sur ses épaules quand il était debout, derrière la chaise où elle s’était assise.  En contre-interrogatoire, parlant dans son témoignage du jour précédent, elle a insisté de n’avoir jamais dit que les bras de l’accusé l’avaient encerclée. 

[34]        T.N. a répété à plusieurs reprises que l’accusé lui avait touché les seins.  En contre-interrogatoire elle a avoué que la police lui avait présenté un dessin d’une silhouette humaine pour qu’elle marque l’endroit précis des attouchements prétendus.  Elle a justifié son manque de précision en disant que ce n’était pas un dessin de son propre corps.

[35]        Parfois T.N. semblait se moquer des questions posées en contre-interrogatoire.  En décrivant le mouvement qu’elle avait fait pour s’éloigner de l’accusé quand elle était assise à la table elle a répondu que son cerveau lui avait envoyé un message au corps de se déplacer: une réponse tout à fait sarcastique et évasive.

[36]        T.T. a témoigné qu’elle savait que ses filles n’aimaient pas étudier avec l’accusé mais elle était reconnaissante de ses efforts de les aider avec leurs études.  Elle a dit que la famille avait déménagé pour protéger les plaignantes après sa conversation avec H.N. à la fin du mois de mars 2015.

[37]        En tant que nouvelle arrivée, au Canada au moment des infractions alléguées T.T. a témoigné qu’elle ne savait pas où aller ou quoi faire.  Elle n’avait rien observé des gestes allégués par ses filles.

[38]        Vers la fin d’avril 2015 et une fois installée dans sa nouvelle maison, T.T. a porté plainte à la police.  L’entrevue du 20 mai 2015 a eu lieu à sa nouvelle maison.  Elle est allée au poste de police avec ses filles pour l’entrevue du 2 juillet 2015.

L’analyse

[39]        En l’espèce, il s’agit d’un procès criminel.  Cela signifie qu’il incombe au ministère public de prouver chaque élément des infractions alléguées hors de tout doute raisonnable.

[40]        Cette norme de la preuve est inextricablement liée au principe fondamental de tous les procès pénaux: la présomption d’innocence.  Ce fardeau de la preuve incombe toujours à la poursuite et ne se déplace jamais sur les épaules de l’accusé. (Voir: R c Lifchus 1997 CanLII 319 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 320 au paragraphe 36).

[41]        Lors d’un procès criminel, la fonction du tribunal n’est pas de se livrer à des spéculations sur ce qui est arrivé, ni de préférer une version du témoignage à une autre. Plutôt, le rôle du tribunal est de déterminer après avoir soupesé l’ensemble de la preuve, si le ministère public s’est acquitté du fardeau dont il est chargé.

[42]        Les plaignantes sont jeunes et étaient encore plus jeunes au moment des infractions prétendues.  Le tribunal tient compte qu’il n’est jamais facile de témoigner ni d’être interrogé au sujet d’allégations d’ordre sexuel.  Cependant, le fardeau de preuve ne change pas à cause de la nature de l’infraction alléguée ni de l’âge d’une plaignante.  (Voir: R. c W. (R)., 1992  CanLii 56 (CSC) à la page 8) 

[43]        Dans la décision R v Ghomeshi, 2016 ONCJ 155, au paragraphe 135, le tribunal a souligné la prudence exigée pour considérer le témoignage quand il s’agit d’une allégation d’ordre sexuel.  Je souscris à cette approche sur l’évaluation de la preuve en l’instance.

[44]        Il est bien établi que ni tout baiser ni toute étreinte ne constitue une agression sexuelle ou un attouchement d’ordre sexuel.  Il incombe au ministère public d’établir que les actes en question ont été commis sur les plaignantes dans des circonstances de nature sexuelle de manière à porter atteinte à l’intégrité sexuelle des plaignantes.  (Voir : R. c Lutoslawski  3 R.C.S. 60.)

[45]        Pour déterminer si un attouchement a été fait à des fins d’ordre sexuel, le tribunal peut dans son évaluation de la mens réa de l’accusé, se demander si une personne raisonnable aurait pu percevoir le contexte sexuel de l’attouchement. (Voir : R. c Morrisey, 2011 ABCA 150 (CanLII), 2011 A.B.C.A. 150).

[46]        En l’espèce, ces actes prétendus ont eu lieu dans la cuisine de la maison familiale, une partie de la maison où il y avait beaucoup de va et vient et quand d’autres personnes se trouvaient quelque part dans la maison.  Les photos de la cuisine déposées en preuve démontrent une salle ouverte, aux grandes fenêtres.

[47]        Les plaignantes ont identifié la table et leurs places où elles étudiaient.  Le tribunal doit considérer leurs descriptions des étreintes de l’arrière à la lumière de ces photos.  Leurs sièges étaient soit contre une porte, soit contre une autre table.

[48]        Après avoir considéré les témoignages sur ce point à la lumière du contre-interrogatoire, je ne suis pas convaincue que l’espace entre les chaises, la porte ou l’autre table serait suffisant pour permettre les gestes tel que décrits par les plaignantes.

[49]        Quant aux discussions entre les plaignantes, toutes les deux ont avoué qu’elles se sont parlé de ce sujet au fil des ans sans confier des détails l’une à l’autre.  Selon la preuve présentée, cela est peu probable.  En fait, leurs déclarations antérieures à la police, surtout celles de H.N., reflétaient  une connaissance de quelques éléments des actes allégés par T.N.  L’ampleur et le contenu de leurs discussions est inconnu.

[50]        Pendant le procès les deux plaignantes ont ajouté de nouvelles précisions concernant le mouvement du doigt au- dessus des seins (H.N.) et des mains de l’accusé qui n’étaient pas immobiles quand l’accusé lui touchait les seins par-dessus ses vêtements (T.N.).  Ces précisions  n’avaient pas été divulguées avant ce procès.

[51]        Le ministère public a reconnu que le témoignage de T.N. était plus faible et moins concis que celui de H.N. de sorte qu’il n’ait pas atteint la charge requise.  Je suis d’accord.

[52]        Il y avait trop d’incohérences, d’imprécisions dans le témoignage et de lacunes de mémoire chez les deux plaignantes qui minent la fiabilité et la force de la preuve du ministère public. 

[53]        Après avoir considéré l’ensemble de la preuve, je ne suis pas sûre de ce qui est arrivé entre les plaignantes et l’accusé.  Il se peut que quelque chose se soit passée mais le ministère public ne l’a pas prouvé selon le fardeau exigé.

[54]        Même si je soupçonnais des gestes inappropriés de la part de l’accusé (et je n’en arrive pas à cette conclusion d’après la preuve présentée), un soupçon n’est pas suffisant pour fonder une condamnation en droit pénal.

Conclusion

[55]        Après avoir considéré l’ensemble de la preuve, j’en viens à la conclusion que la poursuite ne s’est pas acquittée du fardeau de preuve dont elle est chargée.  En l’espèce, je dois acquitter l’accusé.  Par ces motifs, je le déclare non coupable des infractions alléguées.

 

 

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T. Alexander

Juge de la Cour Provinciale de la Colombie- Britannique